Patriotisme et liberté d’expression : trouver l’équilibre en temps de crise
Dans les sociétés qui se réclament démocratiques, le patriotisme est souvent considéré comme une force unificatrice, une dynamique qui favorise ce sentiment d’appartenance et d’identité collective parmi les citoyens. En période de menaces extérieures cependant, qu’elles soient militaires, économiques ou idéologiques, les gouvernements peuvent se sentir obligés de canaliser le discours public pour maintenir la sécurité nationale et la cohésion sociale. Cet effort du gouvernement pour préserver les intérêts communs supérieurs, peut souvent soulever des questions cruciales sur l’équilibre entre patriotisme et liberté d’expression.
La liberté d’expression est une pierre angulaire des valeurs démocratiques, en ce qu’elles permettent aux individus d’exprimer des opinions divergentes et de s’engager dans un dialogue ouvert. La liberté d’expression peut se définir comme le droit de partager librement ses opinions sur toute question qui intéresse la vie de l’homme dans sa société, sans être soumis à la contrainte du gouvernement. En remontant à ses origines, la liberté d’expression qui passe pour un idéal démocratique, trouve son terreau génétique dans la Grèce antique. Mais faut-il le dire tout de suite, cette liberté comme paradoxalement, a des limites. Par exemple aux États-Unis, le Premier amendement garantit la liberté d’expression, bien que les États-Unis, et sans doute toutes les démocraties modernes, imposent des limites à cette liberté. Dans l’évolution de l’histoire du pays, des événements majeurs et des circonstances marquantes, ont progressivement conduit la Cour suprême des États-Unis à devoir définir quels types de discours sont – et ne sont pas – protégés par la loi américaine. La pose de ces limites à la liberté d’expression remonte aux pères de la démocratie. Personne ne discute aujourd’hui, sur le fait que les Grecs de l’Antiquité sont les pionniers de la liberté d’expression comme principe démocratique. Selon le History.com Editors, « le mot grec ancien « parrhèsia » signifie « liberté d’expression » ou « parler franchement. Le terme est apparu pour la première fois dans la littérature grecque vers la fin du Ve siècle av. J.-C ». Au cours de la période classique, la parrhèsia est devenue un élément fondamental de la démocratie d’Athènes. Les dirigeants, les philosophes, les dramaturges et les Athéniens ordinaires étaient libres de discuter ouvertement de politique et de religion, et de critiquer le gouvernement dans certains contextes. Cette possibilité de critiquer tout, qui présuppose évidemment et fondamentalement des visées de bien, sert de frein au pouvoir gouvernemental et de plateforme pour des perspectives diverses. En temps de crise cependant, le discours peut changer. Les autorités peuvent faire valoir que certaines expressions, en particulier celles perçues comme antipatriotiques ou potentiellement nuisibles, doivent être restreintes pour protéger les intérêts nationaux. C’est le lieu où les incompréhensions naissent, capables souvent l’opinion dans un pays.
Examinons les motifs qu’un gouvernement peut invoquer pour imposer ces restrictions.
Les autorités politiques peuvent plaider en faveur de la restriction de certaines expressions, en particulier lorsqu’elles jugent celles-ci antipatriotiques ou potentiellement nuisibles, pour plusieurs raisons.
La première raison regarde la sécurité nationale : Les autorités affirment souvent que certaines expressions pourraient menacer la sécurité nationale en incitant à la violence, en promouvant le terrorisme ou en portant atteinte à l’ordre public. Ils soutiennent que la limitation de ce type de discours est nécessaire pour protéger les citoyens et maintenir la stabilité.
La seconde raison concerne la cohésion sociale : Les expressions perçues comme antipatriotiques peuvent créer des divisions au sein de la société. Les autorités peuvent soutenir que la restriction de ces expressions favorise un sentiment d’unité et d’identité nationale, réduisant ainsi le risque de troubles sociaux ou de conflits.
La troisième raison défend la moralité publique : Les gouvernements peuvent affirmer que certaines expressions sont contraires aux valeurs ou à la morale de la société. En restreignant ces expressions, ils visent à maintenir une certaine norme éthique qui s’aligne sur les intérêts perçus de la nation.
La quatrième raison vise à prévenir la désinformation : à l’ère de la diffusion rapide de l’information, et surtout dans un pays à possible forte inculture cybernétique, où l’on ne sait pas que tout n’est pas à dire ou à publier, les autorités pourraient faire valoir que certaines expressions peuvent diffuser de fausses informations susceptibles d’induire le public en erreur, d’inciter à la panique, de perturber les processus démocratiques ou encore d’attiser la méfiance mutuelle susceptible d’engendrer une fracture sociale. Un pays en crise a plus que jamais besoin de l’unité de tous les siens.
La cinquième raison regarde au contexte historique : Dans certains cas, les expériences historiques de conflit ou de traumatisme peuvent amener les autorités à justifier des restrictions sur les expressions ou les publications qui, selon elles, pourraient raviver les tensions ou les conflits passés, en les présentant comme une mesure de protection de l’intégrité nationale.
Un nécessaire équilibre à trouver.
Bien que ces arguments soient souvent avancés au nom de la protection des intérêts nationaux, ils peuvent également conduire à des débats sur la liberté d’expression, les droits individuels et le potentiel d’excès du gouvernement. Trouver un équilibre entre ces préoccupations est un défi complexe dans les sociétés qui se veulent démocratiques.
Si un certain niveau de restriction peut être justifié pour empêcher l’incitation à la violence ou les discours de haine, ou la promotion gratuite des faits d’un quelconque ennemi de la nation, le défi consiste à garantir que ces limitations ne portent pas atteinte au droit fondamental à la liberté d’expression. En interrogeant l’histoire, elle nous montre que des gouvernements ont pu abuser du patriotisme pour réprimer la dissidence, et ont conduit à l’émergence d’une culture de la peur et du conformisme.
Le premier exemple que l’on peut citer est celui du Maccarthisme aux États-Unis (1940-1950). Il est bien connu que durant la guerre froide, le sénateur Joseph McCarthy a mené une chasse aux sorcières contre les communistes présumés. Les accusations de trahison et de sympathie communiste ont été utilisées pour intimider et réduire au silence de nombreux dissidents, y compris des artistes et des intellectuels.
Un autre exemple pourrait être celui de la Révolution culturelle en Chine (1966-1976) : Le Parti communiste chinois, sous la direction de Mao Zedong, a utilisé le patriotisme pour justifier la répression des opposants politiques et des intellectuels. Cette période a été marquée par la persécution, la violence et la destruction de la culture traditionnelle.
Et que dire du Régime de Vichy en France (1940-1944) ? Pendant l’occupation nazie, le régime de Vichy a utilisé le patriotisme pour justifier la répression des opposants politiques, des juifs et d’autres groupes. La propagande a encouragé la délation et la conformité à l’idéologie du régime.
Dans L’Allemagne nazie (1933-1945), le régime nazi a exploité le nationalisme et le patriotisme pour justifier la persécution des juifs, des opposants politiques et d’autres groupes. La propagande a été utilisée pour créer une culture de la peur et de la conformité.
De la Russie contemporaine, certains groupes sociaux politiques dénoncent souvent, sous Vladimir Poutine, le gouvernement utilisant le patriotisme pour réprimer les manifestations et les critiques. Les lois sur les “agents étrangers” et la censure des médias sont des exemples de l’utilisation du patriotisme pour justifier la répression de la dissidence. Tous ces exemples sans doute inexaustifs, montrent comment le patriotisme peut parfois être manipulé pour restreindre la liberté d’expression et réprimer la dissidence au nom de la sécurité nationale ou de l’unité nationale.
Comment le communicant peut dénoncer sans heurter ?
La liberté d’expression est un pilier fondamental des sociétés démocratiques, mais elle doit s’accompagner d’un sens des responsabilités. Publier des informations ou des images sans esprit critique peut mener à la désinformation et à la polarisation. Il est crucial de s’assurer que les critiques formulées vis-à-vis des autorités ou des institutions soient constructives et fondées sur des faits vérifiables. En dénonçant des méconduites, il est possible de favoriser le débat public et d’encourager une meilleure gouvernance sans pour autant nuire à la réputation des individus. La critique peut être un outil puissant pour améliorer les pratiques et promouvoir la transparence, à condition qu’elle soit formulée avec nuance et respect. Les imperfections humaines sont inévitables, et reconnaître les erreurs peut renforcer la confiance entre le gouvernement et les citoyens. Une approche équilibrée permet de sensibiliser aux enjeux tout en favorisant un climat de dialogue. Ainsi, la liberté d’expression, lorsqu’elle est exercée avec discernement, peut être un moteur de progrès pour la société tout entière.
La prudence dans la gestion de la liberté d’expression est essentielle pour préserver un équilibre entre le droit de s’exprimer et la nécessité de maintenir l’harmonie sociale. Les individus et les médias doivent être conscients de l’impact de leurs paroles et écrits. Avant de publier ou de partager des informations, il est crucial de vérifier leur véracité ; ce qui s’avère bien très difficile surtout dans un pays où l’insécurité annule toute possibilité d’aller vérifier sur le terrain. La désinformation peut se propager rapidement et entraîner des conséquences néfastes sur la perception publique et la confiance envers les institutions. En sus de cette prudence encline à la quête de l’objectivité, s’ajoute le devoir de respecter la dignité de tout homme, gouverné ou gouvernant. La liberté d’expression ne doit pas être utilisée comme un prétexte pour attaquer ou dénigrer des individus, des groupes ou des communautés. La critique constructive est préférable à l’insulte ou à la diffamation, et dans des sociétés diverses, il est important de tenir compte des différences culturelles et des sensibilités ; parce que ce qui peut sembler anodin pour une personne peut être offensant pour une autre. Ce qui fait souvent défaut, c’est l’ignorance que chaque pays a ses propres lois régissant la liberté d’expression. Il est important de connaître ces lois, notamment celles qui interdisent les discours de haine, la diffamation ou l’incitation à la violence, ou qui peuvent influer sur le droit discrétionnaire de l’action de l’Etat.
Un droit souvent méconnu par le commun.
Le droit discrétionnaire de l’action de l’État, souvent méconnu par les citoyens, se réfère à la capacité des autorités publiques d’agir selon leur jugement et leur appréciation des situations, tout en respectant les lois et les principes de justice. Cette discrétion est essentielle dans plusieurs domaines, notamment dans l’application des lois. Les agents de l’État, comme les policiers ou les juges, disposent d’une certaine latitude pour interpréter et appliquer les lois. Par exemple, un policier peut décider d’émettre un avertissement plutôt qu’une contravention, en fonction des circonstances. Sa conscience est en jeu et on doit lui prêter sa bonne intention dans la fonction qu’il exerce. Dans le domaine de la politique publique également, les gouvernements ont le pouvoir de définir et d’appliquer des politiques en fonction des besoins et des priorités de la société. Là encore, la société a le devoir de prêter les meilleures intentions au gouvernement, jusqu’à la preuve du contraire. Cela inclut des décisions sur le budget, la santé publique, l’éducation, etc. Il en est de même pour la gestion des crises en période de crise. Face à une pandémie ou une catastrophe naturelle, l’urgence commande que l’État puisse agir prestement et de manière discrétionnaire pour protéger la population, même si cela implique de restreindre temporairement certaines libertés individuelles. L’État doit souvent jongler entre la protection des droits individuels et la nécessité de maintenir l’ordre public. Cette tension nécessite une évaluation discrétionnaire des mesures à prendre. Cela dit, ce droit discrétionnaire doit être exercé avec prudence et responsabilité ; il n’est pas une carte blanche donnée à L’état pour agir comme il veut en versant dans l’abus. Un abus de pouvoir ou un manque de transparence dans l’exercice de cette discrétion peut mener à des violations des droits de l’homme et à une perte de confiance du public envers les institutions. Des mécanismes de contrôle, comme les recours juridiques et les audits, sont donc nécessaires pour garantir que l’action discrétionnaire de l’État reste dans les limites de la légalité et de l’éthique. En somme, la prudence dans l’exercice de la liberté d’expression permet de favoriser un dialogue respectueux et constructif, tout en protégeant les valeurs démocratiques et la cohésion sociale. Il s’agit de trouver un équilibre entre la critique constructive et le respect des personnes en charge, afin de bâtir une communauté plus forte et plus résiliente.
En fin de compte, une démocratie saine, ou plutôt, un pouvoir qui se veut être celui du peuple et par le peuple, se nourrit de la capacité à critiquer et à remettre en question le statu quo, même face à des menaces extérieures. Encourager un dialogue ouvert, favoriser la pensée critique et respecter les opinions diverses peut renforcer la résilience nationale, en veillant à ce que le patriotisme ne se fasse pas au détriment de la liberté. Il est essentiel de trouver un équilibre entre ces idéaux pour la santé de la nation et de ses principes démocratiques.
Rev. Fr. Joseph Kinda, MA Communication Strategic.